La fin de l'eldorado chinois pour les Cognacs ?
La Chine menace la filière Cognac avec des mesures antidumping, révélant les risques du commerce mondial. Cette situation souligne les limites d'une stratégie d'exportation concentrée en période de tensions commerciales.
La Chine, un marché crucial pour les spiritueux français
La Chine est l’un des plus grands pays importateur et consommateur de spiritueux dans le monde. Avec plus de 1,3 milliards d’habitants et une culture de l’alcool portée par les spiritueux – Baidju en tête - la Chine est une réelle opportunité pour les producteurs étrangers d’alcools.
Et les chiffres peuvent donner le tournis : 2ème importateur en valeur avec plus de 2,6 milliards d’euros en 2023, les importations chinoises de spiritueux étrangers ont doublé en matière de chiffre d’affaire depuis 2017. Près d’un quart du chiffre d’affaire du Cognac est fait en Chine, et environ 1 bouteille de Cognac sur 5 est exportée sur ce marché.
D’autant que le consommateur chinois est aujourd’hui à la recherche de spiritueux étrangers et haut de gamme. Forts d’une image luxueuse à l’occidentale, les Cognacs se sont logiquement imposés comme acteurs majeurs sur ce marché en tant que biens aspirationnels. Le Cognac a su séduire les nouvelles classes moyennes et supérieures chinoises à fort pouvoir d’achat et avides de distinction sociale.
Plus qu’un simple marché secondaire, la Chine constitue aujourd’hui un marché de grande qualité pour l’industrie des spiritueux, véritable alternative au marché américain.
Des tensions commerciales qui menacent les spiritueux européens
Le temps semble toutefois tourner à l’orage pour les spiritueux européens depuis quelques mois.
D’abord, avec les pressions commerciales sur la restriction des ventes de machines de pointe de la société ASML. Ensuite, l’exclusion du bonus écologique pour les véhicules chinois vendus en France. Et plus récemment, l’annonce de l’application de droits anti-subventions sur ces mêmes voitures électriques, accusées par la Commission européenne d’être subventionnées massivement par le gouvernement chinois.
C’est sur ces taxes que le point de non-retour semble avoir été franchi pour Pékin. L’Union européenne s’est laissée jusqu’au 4 juillet afin de trouver un terrain d’entente avec la Chine pour éviter l’application de droits importants pour les constructeurs visés par l’enquête. Mais le gouvernement chinois n’entend pas se laisser faire.
En effet, la Chine a lancé dès janvier 2023 une enquête visant des soupçons de dumping des eaux-de-vie de vin européennes sur son marché intérieur. Avec pour conséquence principale des possibles droits antidumpings qui restreindraient drastiquement l’accès à son marché. La filière européenne se retrouve donc au milieu d’un conflit commercial et pourrait en être la victime collatérale.
Le Cognac, une dépendance dangereuse
L’enquête chinoise est d’autant plus dangereuse que le principal spiritueux visé, le Cognac, est dépendant du marché chinois. Le Cognac réalise là-bas plus de 760 millions d’euros de chiffre d’affaire chaque année.
La Chine est le second marché client pour la filière charentaise, que ce soit en volumes exportés ou en chiffre d’affaire. Et sa place n’a cessé de croître depuis 10 ans, s’affirmant comme un marché de croissance et qualitatif.
Et les conséquences de la fermeture de ce marché pourraient être nombreuses, car trouver des débouchés à la fois quantitatifs et qualitatifs sera difficile. Chutes de chiffres d’affaire et de bénéfice, voire des difficultés économiques encore plus importantes pour des acteurs très exposés à ce marché, allongement de l’écoulement des stocks, déversement de volumes importants de vins non distillés sur les marchés…
Quels enseignements tirer ?
Ces menaces amènent à réfléchir sur la place d’un marché dans une stratégie export, que ce soit pour les grands groupes ou pour les acteurs indépendants aux volumes plus modestes.
Le risque politique et réglementaire existera toujours. Aucune assurance ou évaluation ne permettra de le réduire à zéro, d’autant plus sur des marchés lointains. Il est donc nécessaire d’intégrer ce risque dans sa stratégie d’exportation.
La diversification de ses marchés à l’export demeure la meilleure protection contre ces évènements imprévisibles. Dépendre lourdement d’un marché ayant des antécédents en matière de surtaxes d’alcool – cf. les surtaxes sur les vins australiens – relève d’une imprudence pouvant avoir des conséquences lourdes dans les finances d’une entreprise. La clé d’une stratégie d’exportation réussie réside dans la présence sur des marchés de croissance, tout en gardant une vigilance constante sur la gestion du risque politique.

